La Premier League en faillite ?

Louée pour ses joutes spectaculaires et ses effectifs de rêve, la Premier League peut s'enorgueillir d'être la référence mondiale en matière de ballon rond. Pourtant l'envers du décor n'est pas reluisant. Gorgé de capitaux américains, le championnat d'Angleterre subit de plein fouet la crise économique qui sévit à l'heure actuelle sur les Etats-Unis.

Temple du football, la Premier League de Cristiano Ronaldo est criblée de dette. (Reuters)C'est un paradoxe, le championnat le plus riche du monde est également le plus endetté. Les tiroirs-caisses sont pleins, les recettes au beau fixe, l'image de la Premier League se vend aux quatre coins du monde, rapportant pas moins de 1,4 milliard d'euros par an à ses pensionnaires. Et pourtant, tout ce joli tableau ne repose sur rien, si ce n'est sur les spéculations des grands argentiers du royaume d'Angleterre: les banques, américaines pour la plupart.

En temps normal, ce dernier détail n'a que peu d'importance. L'argent, aussi volatile et virtuel soit-il, est bon à prendre d'où qu'il vienne, en particulier aux yeux des enfants libéraux de Margaret Thatcher. Seulement en temps de crise, à l'heure où les observateurs avisés n'hésitent plus à dépoussiérer leurs archives de 1929, la donne est toute autre. La menace gronde et le plus puissant des championnats européens tremble.

La crise des subprimes, épicentre américain du séisme qui secoue actuellement l'ensemble des places financières de la planète, s'est d'abord traduite par une crise du sponsoring outre-Manche. Symbole du malaise bancaire qui mine l'économie britannique, la Northern Rock, soutien de Newcastle, a ainsi frôlé la banqueroute à plusieurs reprises ces dernières semaines, avant d'être sauvée par une providentielle nationalisation. Une issue dont n'a pu bénéficier le tour-opérateur britannique XL Leisure Group, un voyagiste low-cost liquidé qui a ainsi dû se résigner à abandonner West Ham en plein vol.

Manchester United bientôt privé de sponsor ?

Signe avant-coureur de cette catastrophe, la baisse sensible cette saison de la participation des sponsors aux budgets des clubs de Premier League (-16%). Une anomalie que le royaume n'avait plus connue depuis près de 20 ans. Bien que grassement servi par son généreux partenaire, le géant de l'assurance American International Group (71,3 millions d'euros sur quatre ans), Manchester United n'échappe pas à la tourmente pour autant.

Moyennant un gros chèque de 85 milliards d'euros paraphé par la Réserve fédérale américaine, AIG a évité de justesse le dépôt de bilan dernièrement mais se trouve aujourd'hui dans le collimateur du FBI, soupçonné de pratiques frauduleuses aux prémices de l'ouragan subprimes. Des petits ennuis judiciaires qui ne devraient pas être sans conséquences pour le pactole promis aux Mancuniens. 71,3 millions d'euros, une broutille pour un géant rouge qui aura dégagé un chiffre d'affaire de 308 millions la saison passée ? Pas si sûr...

Car le ver est dans la pomme anglaise. Les empires bâtis par les MU, Liverpool, Chelsea et Arsenal sont en fait des châteaux de cartes, des édifices posés en équilibre sur une montagne de crédits. L'effondrement de la banque d'investissement Lehman Brothers a engendré un véritable mouvement de panique aux Etats-Unis et, par ricochet, dans le monde entier, et rien ne dit qu'à l'avenir les banques consentiront à reconduire les crédits qui permettent à la Premier League d'avoir si fière allure.

Une dette globale de 3,1 milliards d'euros

Si à Manchester, un porte-parole de la famille Glazer assurait récemment que le "credit-crunch" n'était pas une menace pour les Red Devils, le seul constat de la dette mancunienne, chiffrée à près d'un milliard d'euros, donne le vertige. A l'origine de ce passif colossal, les emprunts imputés aux comptes du club effectués par l'Américain Malcolm Glazer à son arrivée dans le nord de l'Angleterre, en mai 2005. A l'époque, il avait déboursé pas moins de 1,47 milliards de dollars pour s'octroyer 28,7% de MU.

Ce procédé de rachat basé sur l'endettement, Liverpool en fait également les frais à l'heure actuelle. Alors que Tom Hicks et George Gillett, les deux propriétaires américains des Reds, s'apprêtent à renégocier leurs crédits début 2009 (environ 700 millions d'euros), il se murmure que la Wachovia, leur principal soutien jusqu'alors, ne serait plus en mesure de les suivre. La banque américaine ayant été engloutie par sa concurrente Citigroup en début de semaine. A Londres, la situation est un peu moins alarmante. Du côté des Gunners, l'on accuse une ardoise de 410 millions d'euros, un montant jugé raisonnable outre-Manche loin de remettre en question la pérennité d'Arsenal.

Pour les Blues, la douloureuse, s'élevant à près de 900 millions d'euros, est bien plus embarrassante. Mais tant que Roman Abramovitch et ses pétrodollars règneront sur Stamford Bridge, Chelsea pourra dormir sur ses deux oreilles. Une douce insouciance collective que seul Paul Duffen, le président de Hull City, nuance pour l'heure, en un éclair de lucidité: " Beaucoup de clubs ont mené la grande vie et dans ces temps bancaires incertains, il pourrait y avoir quelques victimes en Premier League cette saison. " Au total, la dette des clubs de Premier League représente 2,5 milliards de livres (3,1 milliards d'euros). Le prix du rêve. Un prix que les Anglais pourraient bien payer au centuple si les Etats-Unis venaient à essuyer le second crack boursier de leur histoire.